Les cartographies d’acteurs sont des schémas ou des tableaux qui fournissent une représentation des acteurs concernés par un projet ou un conflit ainsi que des relations entre eux. Elles peuvent s’avérer utiles au tout début de la construction d’un dispositif de dialogue territorial, pour mieux connaître le territoire et contribuer à définir la stratégie de concertation.
L’identification des acteurs « concernés » constitue une dimension incontournable dans un processus de dialogue territorial. Elle vise à identifier ceux qui agissent sur le territoire et/ou qui peuvent exprimer un avis au sujet de la question traitée, notamment afin de décider qui va être invité à participer au processus de dialogue et à quel niveau d’implication.
Le principe est de ne pas exclure a priori, cependant il peut être nécessaire d’adapter le nombre potentiel d’acteurs concernés avec les modalités du dialogue (et notamment aux processus de co-construction, de consultation ou d’information qui peuvent constituer une stratégie de dialogue). Il faut surtout veiller à ne pas omettre la participation de certains acteurs importants, soit par oubli soit par calcul.
Ces questions sont stratégiques et c’est pourquoi, si une cartographie des acteurs est réalisée, il est préférable qu’elle le soit collectivement et si possible avec la contribution des acteurs eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, ces outils ne doivent pas être considérés comme normatifs, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas donner lieu à des règles en matière de participation : ce sont seulement des outils d’aide à la réflexion.
Comment réaliser une cartographie d’acteurs ? La première étape consiste en un inventaire le plus complet possible des acteurs concernés par le sujet. La seconde vise à les qualifier au moyen de critères à définir et qui concernent par exemple :
- leur pouvoir et/ou leur légitimité à intervenir (pouvoir de décision, pouvoir d’action, pouvoir de blocage, usage du territoire concerné, possession de connaissances scientifiques ou empiriques, etc.) ainsi que leur propre demande de participation. La grille de Mitchell (voir plus loin) peut être utile à ce niveau.
- leurs rapports avec le sujet traité (appui, opposition, etc.) et leurs relations entre eux (coopération, opposition, dépendance, absence de relation…). Le tableau des acteurs (voir plus loin) peut résumer ces éléments.
L’inventaire
L’inventaire initial peut être réalisé par l’animateur et les organisateurs de la concertation, par exemple à partir de leurs propres connaissances et à travers des entretiens avec des personnes-ressources connaissant le territoire. Des documents (comptes-rendus de réunions) ou la presse locale peuvent également être utiles. Enfin, les premiers acteurs identifiés peuvent être interrogés à ce sujet (« Qui d’autre, à votre avis, pourrait participer à cette concertation ? »). Les acteurs peuvent être des entités collectives (administrations, entreprises, associations, organisations professionnelles …), des individus (M. ou Mme Untel…) ou des groupes non organisés (les touristes, les riverains, les promeneurs, les citoyens…). L’objectif dans un premier temps est d’être exhaustif, à la fois pour des raisons d’équité (ouvrir la concertation à tous) et d’efficacité (éviter qu’elle ne soit contesté par un acteur qui aurait été « oublié »). Recouper plusieurs questions est un moyen de n’oublier personne : qui exerce une activité sur le territoire ? Qui pourrait être concerné directement ou non par le projet ? Qui pourrait avoir un avis à exprimer ?
On peut aussi s’aider de petites nomenclatures comme celle-ci pour éviter des oublis :
Types d’acteurs
- Services de l’Etat
- Collectivités territoriales
- Acteurs économiques
- Société civile
- Police et justice
- Acteurs non organisés
La grille de Mitchell
Le politologue Ronald P. Mitchell propose de classer les parties prenantes en fonction de trois critères : le pouvoir, la légitimité et l’urgence.
Le pouvoir est la capacité (exprimée ou potentielle) d’un acteur à imposer sa volonté aux autres. Ce peut être un pouvoir de décider, d’agir, de bloquer, de mobiliser les autres acteurs, etc. La légitimité est l’appréciation, par les autres acteurs (exprimée par exemple lors d’entretiens préalables à l’engagement du dialogue), que l’action du premier est légitime (désirable, convenable, appropriée…). Cette appréciation est subjective et dépend des visions de chacun. Enfin, l’urgence est le sentiment, par l’acteur lui-même, que sa propre demande (revendication à faire entendre, envie de participer…) est pressante ou importante.
Ces critères permettent de classer les parties prenantes en huit catégories. Ceux qui ont les trois attributs sont qualifiés d’acteurs « incontestables ». Ceux qui ont deux attributs (les acteurs potentiels) sont :
- les « dépendants » (possédant l’urgence et la légitimité)
- les « dangereux » (possédant pouvoir et urgence)
- les « dominants » (possédant pouvoir et légitimité)
Ceux qui ont un seul attribut sont :
- les « dormants » (pouvoir)
- les « discrétionnaires » (légitimité)
- les « demandeurs » (urgence)
Enfin, ceux qui n’ont aucun attribut sont qualifiés par Mitchell de « non-acteurs ». Sans considérer cette grille comme un outil normatif, il est possible d’utiliser ces critères pour aider à réfléchir le niveau d’implication de chacun dans le processus de dialogue. On peut dire par exemple qu’au moins les acteurs « incontestables » doivent appartenir au premier cercle du dialogue (groupe de co-construction), que les autres seront consultés ou associés de façon plus ponctuelle, etc.
Les cartes et tableaux
Il existe plusieurs façons de dessiner une carte des acteurs. Celle qui est présentée ci-dessous permet de visualiser la proximité des acteurs avec le sujet à aborder, ainsi que leurs relations avec celui-ci et les relations entre eux.
Il faut d’abord dessiner une cible, puis placer les acteurs identifiés sur celle-ci en fonction de leur proximité avec le sujet. Cette proximité peut être estimée par les connaisseurs du territoire en fonction de critères à expliciter (les plus actifs, ou ceux qui verront leur activité la plus affectée par le projet, ou…), ou définie grâce à la grille de Mitchell.
On peut ensuite, au moyen de flèches, représenter les relations de ces acteurs avec le sujet (ou le projet) en distinguant par exemple opposition, neutralité et adhésion. On peut aussi préférer de faire figurer l’existence ou l’absence de relations d’échange. Il faut noter que cette représentation est subjective (elle vise à clarifier les idées de ceux qui l’élaborent) et temporaire (les relations entre acteurs changent tout le temps).
Chercher à satisfaire les besoins, tenter d’apaiser les craintes, rassembler des moyens, identifier des intérêts communs : tout cela peut constituer les éléments constituants d’une stratégie vis-à-vis des principaux acteurs.
Les cartes d’acteurs peuvent être très diverses, de nombreux modèles sont disponibles dans les ouvrages spécialisés ou sur internet. On peut choisir par exemple, en fonction de l’intérêt que cela représente pour la concertation, d’y porter des éléments comme :
- Les rôles des acteurs au regard du projet
- Les compétences
- Les relations de pouvoir
- etc.
La « fleur des acteurs » (photo) élaborée par l’association Robins des Villes à propos de la rénovation d’un quartier urbain, met en scène des acteurs collectifs et individuels, leur nature et leurs relations entre eux.
Les matrices d’acteurs
Les matrices d’acteurs sont des tableaux à double entrée qui permettent de représenter les relations entre acteurs et leurs rapports à un sujet donné. Certains logiciels permettent de réaliser ces matrices et d’en tirer des analyses graphiques. Par exemple, le logiciel (gratuit) Mactor, part d’une liste des acteurs concernés par une situation de concertation, de l’identification des objectifs que chacun d’entre eux poursuit et de son positionnement sur des enjeux particuliers.
A partir des rapports de dépendance et d’influence qu’ont les acteurs les uns sur les autres, il est possible de mieux visualiser les relations entre eux, ce qui peut aider les animateurs à mieux appréhender les alliances stratégiques, les points de convergence et de divergence, les conflits potentiels…
Rappelons que ce type d’outil ne fait que représenter sous une forme graphique des éléments d’appréciation qui lui sont fournis et dont la qualité doit être vérifiée ! L’une de ses plus-values les plus manifestes réside dans le processus de réflexion collective qu’il permet.